Traditions et démocratie

Dans de multiples débats actuels, portant aussi bien sur l'enseignement de l'histoire, l'expression publique des croyances religieuses, les décisions de justice ou l'éthique des pratiques médicales, les traditions sont fréquemment invoquées, souvent comme un argument d'autorité. Sans toujours l'expliciter, ces débats sont sous-tendus par la question de savoir si, au nom de la pluralité des traditions, il est légitime d'instaurer des politiques différentialistes. Cependant, rares sont ceux interrogent la nature des traditions, comme si elles renvoyaient bien à quelque chose d’ancien, se transmettant de génération en génération. Or, depuis plus de cinquante ans, les sciences sociales font la critique d’une telle représentation “ substantialiste ” des traditions. De nombreux travaux contestent l’idée selon laquelle les traditions possèdent des propriétés intrinsèques, comme l’ancienneté ou la continuité ; différents auteurs ont souligné les “ illusions rétrospectives ”, les “ inventions ” ou le travail de “ fabrication ” qui constitue les traditions.

Ce programme de recherche, initié au Laboratoire d’Anthropologie Sociale (LAS) et à la Maison Française d’Oxford (MFO), propose une analyse des usages politiques de notion de tradition à partir des acquis des sciences sociales. Il s’attache particulièrement à critiquer l’anthropologie philosophique des communautariens dont dérivent aujourd’hui différentes versions du multiculturalisme. Trois objectifs sont visés par cette recherche : 1) montrer la manière dont les certains enjeux politiques et sociaux se cristallisent autour des traditions ; 2) revenir sur les malentendus auxquels donnent lieux les analyses philosophiques du concept de tradition et leur impact sur les politiques publiques ; 3) établir les bases théoriques nouvelles à partir desquelles la question de la tradition peut faire face aux attaques dont elle a fait l'objet et répondre aux exigences démocratiques contemporaines.

 

La compétence des citadins

Il s’agit d’une recherche entreprise dans le cadre de mon séminaire au Collège International de Philosophie (CIPH). Elle prend pour point de départ l’interrogation du sociologue Isaac Joseph : « A quelles conditions et dans quels langages peut-on renouer, intellectuellement et pratiquement, avec les qualités qui font d’un citadin quelqu’un de sensible aux formes et aux événements qui l’entourent dans un espace public et capable, civiquement et socialement, de reconquérir ces qualités ? » Je cherche ici à établir un lien entre des approches philosophiques et politiques des compétences citadines (W. Benjamin, J. Rancière, M. de Certeau, H. Lefebvre) et les nouveaux champs de recherche liés à l’écologie de la perception (J. Gibson) et de la cognition distribuée (E. Hutchins). A terme, il s’agit d’établir comment les citadins développent des compétences en situation leur permettant de s’approprier divers éléments du monde urbain pour en faire des instruments de connaissance et des outils d’action.

 

Vers un urbanisme sensitif

Ce projet de recherche est mené en collaboration avec l’agence Jacques Ferrier architectures (JFA) suite au colloque La ville sensuelle (voir programme). Au moment où nous cherchons à réconcilier les liens et les lieux, les flux de la mondialisation et le sens de l’espace, le corps du citadin apparait comme le capital le plus précieux, capable d’appréhender des réalités métropolitaines complexes et hétérogènes. En m’appuyant sur l’apport théorique d’artistes, d’architectes et d’urbanistes (J. Pallasmaa, G. Képes, K. Lynch), mon objectif est de promouvoir un urbanisme sensitif qui intègre pleinement la dimension sensorielle et cognitive de l’espace. Il ne s’agit pas seulement de prendre en considération la façon dont les sens sont mobilisés dans l’expérience spatiale mais, bien plutôt, de saisir en quoi les qualités sensibles et les contextes spatiaux offrent des prises permettant aux citadins de participer à la transformation des espaces métropolitains.

 

La vision dynamique de Moholy-Nagy : architecture, ville, design

Dès ses premiers cours au Bauhaus en 1923, Moholy-Nagy développe l’idée d’un entraînement du sensorium humain par l’art qui doit permettre aux masses de se réconcilier avec l’esprit de la technique propre à l’environnement urbain. Pour Moholy, l’homme est la synthèse des ses appareils fonctionnels sensitifs dont les capacités sont infiniment perfectibles. La vocation de chaque medium artistique est ainsi de dynamiser et d’élargir les facultés perceptives de l’individu en y intégrant des éléments nouveaux. Appliquée à la ville et à l’architecture, cette éducation de la vision devait permettre aux citadins de s'adapter, comprendre et maîtriser un environnement urbain complexe, changeant et souvent perçu comme menaçant. D’autre part, il devait renouveler en profondeur notre expérience de l’espace, ouvrant la perception à des dimensions insoupçonnées du monde sensible.

La recherche que je mène actuellement, financée par la Terra Foundation for American Arts (TAFR) dans le cadre de l’Institut National d'Histoire de l'Art (INHA), entend expliciter l’apport théorique de László Moholy-Nagy pour la création architecturale, urbaine et industrielle d’aujourd’hui. Ce programme de recherche donne lieu à un colloque en 2010 lors de la Biennale à la Cité du Design de Saint-Etienne (CDSE).